mardi 5 juin 2012

Chap. 6 : Où on somme Monluc de se justifier, et merde !






Pour mon article, j’avais bien quelques citations, mais j’avais aussi une idée assez précise sur ce que je voulais éviter, par exemple l’ Amour sacré de la puterie, ce truc vomitif du camarade Anchois de Lisle dans sa putain de rengaine, Conduis, soutiens nos braquemarts vengeurs que gueulent les veaux dans les casernes, dans les actes officiels et tout le tralala des sans queue ni tête de ces têtes-de-noeud-sans-queue-ni-tête au garde à vous !

Non, décidément non ! L’amour ? Faire l’amour ! Faites l’amour pas la guerre ! D’ac’, moi je voulais bien, mais tirer un coup dans un con, avec un fusil l’expression marche aussi, et merde !, bon, c’est pas le même con, d’ac’, pas le même fusil non plus, mais c’est vrai au fond, faudrait peut-être que je pense à ne plus tirer un coup, et puis qu’ils aillent se faire foutre avec leurs phrases à la mords-moi le nœud, moi, je baise, et c’est tout ! Tout ça ne m’avançait pas d’un poil. Autre chose : Il y a tant de sortes d'amour que l'on ne sait à qui s'adresser pour le définir. On nomme hardiment amour un caprice de quelques jours, une liaison sans attachement, un sentiment sans estime, des simagrées de sigisbée, une froide habitude, une fantaisie romanesque, un goût suivi d'un prompt dégoût : on donne ce nom à mille chimères. Sacré Voltaire, une fois de plus dans le mille ! Une mine, ses Questions sur l'Encyclopédie ! On ne sait à qui s’adresser, mais oui, bien sûr, c’est ça qui me manquait, fallait enquêter, aller sur place, poser des questions, merci François Marie, merci, merci !


Ça allait décoller, je le sentais, restait à décider qui aller voir, j’en profiterais pour passer à la bibliothèque et dénicher les bouquins, les témoignages dont j’avais besoin. Au moment où j’enfilais mes pompes, ce putain de téléphone :

- Alors, tu te caches ou quoi ?

Hrosvitha ! Qu’est-ce qu’elle me voulait encore !

- Mais non, bien sûr que non, je bossais, c’est tout ! Fallait absolument que je donne mon article à Belami, tu sais les états dans lesquels il se met quand y reçoit pas ses articles !
- T’en as profité pour revoir ta pouffiasse, hein !
- Commence pas, tu veux !
- ...
- Alors, tu m’appelles pour quoi ?
- Pour t’inviter au théâtre, mais si t’es occupé...
- Quand ?
- Ce soir.
- D’accord.
- Et tu ne me demandes même pas pour aller voir quoi ?
- Non, je te fais confiance.
- Toi ? Faire confiance ? C’est nouveau ça ! T’es amoureux ou quoi ?
- À quelle heure ?
- Neuf heures.
- D’ac’, à huit heures chez toi, je passe te prendre.
- Tu me prendras à huit heures ?
- Ben oui, quoi, c’est trop tard ?
- Si c’est pour passer me prendre, viens un peu avant !
- D’ac’, sept heures et demie, ça va ?
- Parfait. Je t’embrasse.
- Moi aussi.

Je raccroche et... Et merde ! Elle m’a eu ! On peut pas penser à tout, à tout à la fois ! Et merde ! Je crois que j’avais aucune envie de la prendre à sept heures et demie, comme si pour baiser fallait aller pointer ! Et merde ! Elle m’a eu ! On va s’AIMER ! Et merde ! Et le couplet sur ta pouffiasse, ça allait être chiant, je le sentais, j’en étais sûr, chiant, chiant et chiant, et merde ! Ce qui, dans tout ça, était le plus désagréable, c’est qu’elle me bottait Hrosvitha, avec elle au moins on pouvait causer, elle savait qui était Jean-Sébastien Bach, ce que c’était que des fresques, à quel âge était mort l’encloué, etc. Ça faisait longtemps qu’on se connaissait avec Hrosvitha, et puis avec elle, et puis plus avec elle, mais toujours, on se retrouvait, des grands connards passaient dans sa vie, des petites salopes dans la mienne, mais toujours, à un moment ou un autre, on se retrouvait, et puis, honnêtement, elle avait pas tort, l’autre jour, quand elle m’avait dit que je l’utilisais quand j’avais personne d’autre, quand j’étais seul, quand je voulais baiser, mouais, elle en profite aussi quand même !, mais bon, elle avait qu’à être moins conne aussi ! Je t’aime, je t’aime et je t’aime et pourquoi tu m’aimes pas, pourquoi tu m’aimes pas et pourquoi tu m’aimes pas ! Rayé le vinyle ! Bon, c’était vrai aussi que je préférais foutre une branleuse de vingt-deux ans que me démener sur une presque mamie de quarante-six ! Mais comme si j’étais le seul à penser ça ! Elle est bonne celle-là ! Échange une de quarante pour deux de vingt ! Quel est l’eunuque qui dirait : Ben, non, voyez-vous, moi, non, vraiment non, l’expérience est irremplaçable ! L’expérience est irremplaçable ? Mais à quelle époque y vivent ces trous du cul ? L’expérience ? À vingt ans, les mômes elles en savent plus que ta salope de mère n’en a jamais appris tout au long de sa putain de vie ! L’expérience ? Et puis l’expérience, à toi de l’apporter, suffit de pas lui demander le Kama-Sutra, c’est tout, pour le reste, tu te démerdes, et pour la causerie au coin du feu, c’est autre chose. On boit un bon coup, on baise, et bien l’bonjour !

L’autre jour, je rencontre Trotula, une vieille connaissance que j’avais pas revue depuis au moins cinq ans, quarante-cinq balais affriolants, et une classe !, bref, on entre dans un troquet et on se raconte un peu nos histoires. Bien sûr, je lui parle de Belami, de María Asunción, de Hrosvitha et d’Hildegarde.

- Et pourquoi tu crois que tu lui plais à ta biberonneuse ? qu’elle me dit.
- Parce que je lui bouffe la chatte comme pas un ! que je lui réponds, rigolard.
- Mais encore ! qu’elle ajoute, l’air de me prendre pour un toqué prétentieux.
- Le frisson avec un vieux, son Oedipe déboussolé, le sixième sens féminin, au fond elle sait que je ne lui demanderai pas plus que ce qu’elle voudra bien me donner.
- Et ce type de relation te satisfait ?
- Putain, elle a un cul, un des ces culs ! Et puis, m’emmerde pas avec tes questions à la con ! Qu’est-ce qui se passe, tu t’en taperais pas un, toi, de blanc-bec ?

Geste lent, elle boit une gorgée, allume une cigarette, me regarde, boit une autre gorgée, une classe !, sa pomme d’Adam quand elle déglutit, une classe !, et elle me dit :

- La question n’est pas là. Où vas-tu Charles, où vas-tu, où tu la mènes ta putain de vie, comme tu dis ?
- On baise ?
- Tu changeras jamais !
- Mouais.

J’en avais toujours pincé pour Trotula, des nibards incroyables !, pas la folie genre record du monde, non, mais des trucs plantés comme un garde à vous de parade, des lèvres aussi, comme... comme... je sais pas comme quoi, mais des lèvres à queues, c’est ça, des lèvres à queues, bien charnues, il m’était même arrivé de me branler en pensant à ses lèvres, tiens !, je pourrais le lui dire, non, peut-être pas une bonne idée.

- Au fait, tu travailles toujours chez Couillon et Cie ?
- Pouillon et Cie, Charles, le buffet Pouillon !
- Et tout baigne ?
- Tout va bien.
- Et Roméo ?
- Romain, Charles, Romain ! Il a monté cinq autres parfumeries. Tout va bien.
- Alors, tout baigne, tant mieux. Et tu dors toujours à poil, juste un peu de Chanel 5 ?
- Charles !
- Moi, ce que j’en dis !

Elle avait pas trop envie de causer, pas plus de baiser. Allez, je m’arrache, ciao belladonna ! On se téléphone un de des jours ? qu’elle me dit. Tu pourrais même venir dîner un soir, si tu veux ? Tu sais très bien que Romain t’a toujours apprécié ! Mouais, et l’écouter parler pendant des heures de son chiffre d’affaire, des employées sur qui on peut jamais compter (y devait bien s’en taper quelques-unes !). Mouais, que je pensais, t’es pas prête de m’y reprendre ! Bien sûr, un de ces jours, que je lui dis, sans aucune conviction. Dommage, que j’ai pensé, dommage de laisser passer des nichons comme ça et... et des lèvres à queues comme les siennes...

Rien à foutre de ce qu’elle pensait, mais quand même, avec moi les choses sont toujours claires, on baise ?, tu veux plus baiser ?, ciao ! Un jour, Hrosvitha, elle m’avait dit que j’allais finir tout seul, seul comme un vieux rat mort, tout rabougri, plus personne, hop, le vide, place libre, place vacante, un nom sur une sonnette, rien de plus. Bah, que je pensais, y aura toujours une dingue encore plus dingue que moi, encore plus seule que moi qui cherchera le dernier frisson avant que sa misérable petite bougie s’éteigne...

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