mardi 28 août 2012

Chap. 14 : Putaparc



Pour mon article, il me restait à aller voir les personnes qui avaient accepté de me rencontrer : Sœur Angèle de l’Adoration, Lola de Valence et Catherine Durand. Deux jours plus tôt, j’étais allé explorer la faune putesque qui se réunit dans et autour de ce qu’aujourd’hui tout le monde appelle Putaparc, juste à la sortie de la ville. Plutôt que de me joindre à la file des reluqueurs, j’avais préféré faire ma petite promenade à pied. Putain, comme y en avait de la viande avachie, des gueules décorées à la petite vérole, des ventres à étages, des cuisses haltérophiliques, les muscles en moins ! Et je me demandais quel type de déglingué enfonçait se queue dans ça ! Cette humanité qui me donnait le plus souvent la gerbe, me faisait, à cet instant précis presque pitié, pas une pitié genre compassion, non, une pitié presque attendrie. Je suis un sentimental, j’en ai déjà touché deux mots, eh bien tout ça me remuait un peu et je me disais qu’elles seraient quand même mieux, tranquillement installées chez elles, à regarder la télé, à tricoter ou à donner un petit frisson masturbatoire à leur mari qui n’en avait certainement plus pour très longtemps ! Je m’approche de l’une d’elle :
 

- Bonsoir !
- Salut beau gosse ! (Et bigleuse en plus, mais faut dire qu’avec sa gueule dans la glace, sûr que le reste devait lui paraître d’une beauté !) Alors, on y va ? C’est quinze.
- Non, excusez moi, mais...
- Putain, un distingué !
- J’aimerais juste vous poser une petite question.
- Et en plus, y veut causer, l’angelot !
- Une minute seulement.
- C’est cinq alors ! (Je lui ai donné ses cinq euros.) 
- C’est quoi, pour vous, l’amour ?
- C’est une complète à trente !
 
J’étais fixé, elle m’avait piqué cinq euros et, en pour, elle m’avait refilé une putain de phrase qui allait faire son effet sur mon lectorat de merde ! Tout compte fait, ça les valait, les cinq euros ! J’ai marché un peu et me suis approché d’une autre :
 
- Bonsoir !
- Salut, gueule d’amour ! Alors, on y va ?
- Non, excusez moi, mais...
- Putain, un d’la haute !
- J’aimerais juste vous poser une petite question.
- Et en plus, y veut causer, le chérubin !
- Une minute seulement.
- C’est dix alors ! (Je lui ai donné ses dix euros.) 
- C’est quoi, pour vous, l’amour ?
- C’est une complète à quarante !
 
Mieux valait arrêter là ! J’avais jamais été trop porté sur les mathématiques, mais je sentais bien qu’il y avait là-dedans une loi des séries qui n’allait pas tarder à vider mon portefeuille et qui ne m’en apprendrait pas davantage ! J’ai décidé de changer de zone. Elles étaient toutes beaucoup plus jeunes, elles avaient toutes les seins à l’air, elles fumaient par groupe de deux ou trois et dès qu’une bagnole s’arrêtait, une d’entre elles, en alternance, s’approchait et passait sa tête par la vitre. Je me suis approché d’une qui mesurait au moins un mètre quatre-vingts, un putain de corps, et des nichons !
 
- Bonsoir, que je dis, n’ayant pour le moment rien trouvé de mieux comme entrée en matière.
- J’te la suce, tu m’la mets dans l’cul ou c’est moi qui t’la mets !  qu’elle me dit avec une voix de basse profonde. Et merde !
- Ben, t’es quoi, toi ? que je m’entends dire, comme un couillon que j’étais, face à cette beauté couillue.
- J’suis c’que tu veux que j’sois ! qu’elle me répond, avec un putain de sens de l’à-propos.
- J’aimerais juste qu’on cause une minute, si c’est possible.
- Et tu crois quoi, dis donc, que j’suis ici pour tailler des bavettes ? Moi, c’que j’taille, c’est pas ça !
- Ça sera pas long, j’écris un article pour une revue...
- T’es écrivain ?
- Disons que j’écris des articles sur ce qu’on appelle des sujets de société.
- C’est quoi ta r’vue ?
- TéléPlus.
- TéléPlus ? Mais j’connais !
- Ah ouais !
- Y a des trucs d’un certain Charles Monclure...
- Monluc ! C’est moi !
- Pas possible, ça alors ! Monluc, c’est toi !
- Ben ouais.
- Eh les filles, v’nez un peu par là, y a l’mec de TéléPlus, mais si, vous savez bien, Charles Monluc ! V’nez par ici !
 
En pas trente secondes, j’ai été entouré par une dizaine de travelos, genre belle gueule et beaux nichons, qui ont commencé à me poser un tas de questions. J’étais vraiment sur le cul, et qu’elles lisent cette putain de revue de merde, et qu’elle me connaissent, et que ça soit moi qui doive répondre ! Lorsqu’elles m’ont demandé de quoi il s’agissait dans l’article que j’étais en train d’écrire, j’ai essayé de leur expliquer : Ben voilà, l’article a pour titre : C’est quoi l’amour ?, alors j’ai décidé d’aller voir des gens pour savoir ce qu’ils en pensaient et ce qu’ils avaient à me répondre. J’ai, par exemple, rendez-vous demain avec une religieuse, Sœur Angèle de l’Adoration, au couvent des Ursulines. Elles étaient emballées, elles voulaient toutes me répondre à la fois. Elles avaient envie de parler, ça fusait dans tous les sens : C’est les brésiliennes qui nous foutent dans la merde, et elle baissent leurs prix, et les violents, et les pervers, et les vicieux, et les macs, et les dealers, et les bourrés, dix minutes à sucer et rien qui sort, la police, elle fait rien de rien, elle veut ça gratis, et celles de l’Est, les salop’Est, qu’on dit, et des mômes, à peine dix-huit ans, y faudrait avoir un label sexe qu’on se tatouerait sur le cul et les... Eh, les filles, et ma question ? C’était quoi la question ? C’est quoi l’amour ? Elles se regardaient, on aurait dit qu’elles avaient plus trop envie de répondre, y en a quand même une qui s’est avancée vers moi : C’est quand ton mac te bat pas, quand il se shoote pas, quand il s’envoie pas tout ce qui bouge, quand il te pique pas tout ton pognon ! Une autre a ajouté :  C’est quand je ferais tout pour un seul homme, et une autre : Et moi pour une seule femme, et une autre : C’est quand quelqu’un me proposera d’arrêter cette saloperie de boulot, et une autre : C’est quand on m’acceptera comme je suis, et une autre : C’est quand j’existais pas ! Elles ont toutes fermé leur gueule, elles étaient devenues sérieuses, des visages graves, elles se regardaient, tristes. Allez, je vous offre un coup à boire, on va pas se laisser emmerder par des idées noires ! On est tous allés près d’un camion où une matrone en tablier à fleurs faisait cuire des côtes de porc. Champagne pour tout le monde ! que j’ai dit. La matrone m’a regardé, a haussé les épaules,  m’a dit : Tu te crois au Ritz, mon loulou ?, et a sorti une dizaine de canettes de bières accompagnées d’un : C’est vingt euros ! On a bu, on a lancé trois ou quatre vannes, on s’est fait une bise et chacun est retourné à sa merde. J’ai alors décidé de tenter ma chance dans un autre coin et je suis allé vers l’endroit où se trouvaient celles que mes copines appelaient les salopes de l’Est.
 
C’est vrai qu’elles étaient plutôt jeunettes, les isalop’Est ! Elles étaient aussi sacrément gaulées ! Des petits culs bien rondouillards pris dans des minijupes en rase-mottes dans les tons rose, blanc, jaune ! La grande majorité était blonde, y en avait vraiment des incroyables ! En tailleur à rayures, sûr qu’elles auraient pu bosser pour le buffet Pouillon et Cie de ma copine Trotula ! Je m’approche.
 
- Salut ! que je dis à une putain d’isalop’Est gaulée comme le camion de mon pote Alain qui passe ses heures libres à briquer les chromes du sien.
- Bonsoir, Monsieur ! qu’elle me répond, comme si je lui avais balancé Mes hommages, Madame, avec baisemain en prime.
- On pourrait parler deux minutes ?
- Parler moi beaucoup pas français ! qu’elle me dit, et merde !, ça va être difficile, et elle ajoute : Pipe, quinze, complet, trente, cul non, bouche non ! Mouais, on va en essayer une autre, que je me suis dit. Avant même que je lui aie lancé son Salut, elle m’a dit :
- Pipe, quinze, complet, trente, cul non, bouche non !
 
Je me demandais si j’allais pas me retrouver face à une autre série répondant à la loi dont j’ai déjà causé. Bon, j’ai continué à tenter ma chance.
 
- Salut, bonsoir ! que je dis (et merde !, qu’elle choisisse !).
- Yé né parlé passe tré bienne françaisse !
- Mais tu comprends le français, non ?
- Yé né parlé passe tré bienne françaisse !
- Ah non, et qu’est-ce que tu parles, ma belle ?
- Parlé espagnol, si !
 
J’étais tombé sur une isalop’Est tendance andalouse ! Mais alors, elles se ressemblaient toutes, ou quoi ! Je me disais que c’était pas tant la provenance qui les faisait occuper cette zone-là que l’allure. Jeunette, mignonne, petit cul, minijupe en rase-mottes (oui, je sais, je l’ai déjà dit, mais ce genre de blague à la con fait toujours se poiler mon pote Néné, dont j’ai déjà parlé, alors faites pas chier !), blondinette et en avant pour le frisson slave ! Y a pas à dire, avec la mondialisation, on en perd son latin ! Mais là, c’était du latin outre-Junquera. J’avais bien étudié l’espagnol au collège quand j’étais môme, mais après, on m’avait poussé d’office dans une classe où la langue étrangère enseignée était l’allemand (ouais, je sais, tout le monde s’en fout, mais faut quand même expliquer un minimum, les lecteurs sont souvent d’un con ! J’ai dit les lecteurs, pas ceux qui achètent les bouquins...). J’avais toujours été nul en allemand et l’espagnol, je viens de le dire (faudrait suivre, quand même !) était dans un coin tellement poussiéreux de ma cervelle que... mais bon, coraggio, que je me disais !
 
- ¿Español, dunde?
- !España!
- ¿Ciutad?
- Sevilla.
- ¿Aquí?
- Puta, muy puta.
- ¿Y todo bien?
- ¡Chupar, quince, follar, treinta, el culo no, la boca no!
- ¿El amor, qué es?
- ¡Pero que quieres, hombre, vete a cagar, no me jodas la noche, y pregúntale a tu puta madre si, cuando la cepillaba tu puto padre, le contaba lo que era el amor! ¿Lo que es el amor? ¡Joder, me cago en Dios, en la Virgen, en todos los santos y en tu jodida muela, pero, son todos gilipollas aquí, o qué!
 
J’avais pas tout à fait saisi ce qu’elle venait de dire, mais, d’après le ton de sa voix, j’en déduisais qu’elle devait pas être trop contente, l’isalope slavandalouse ! Je lui avais seulement demandé d’où elle venait, de quelle ville, comment allaient les affaires et ce qu’elle pensait de l’amour ! Décidément, pas de chance de ce côté-ci ! La sévillane de mes deux s’était barrée tout en continuant à marmonner ses mots d’amour. C’est alors que j’ai vu une putain plutôt pas mal s’approcher de moi.
 
- Dis donc, ça fait une bonne demi-heure que j’observe ton manège. Tu vas nous faire chier encore longtemps ? Si tu veux, j’appelle deux ou trois copains qui vont te l’arranger ta gueule d’enfoiré !
 
Je lui ai expliqué pourquoi je faisais tout ça, mon article, le sujet, etc. Elle s’était radoucie. Peut-être avait-elle pensé que ça serait pas si mal que ça de gagner quelques sous sans devoir enlever sa petite culotte.
 
- Si tu me paies bien, je te la fais ton interview !
- Combien ?
- Trois cents, ça va ?
- C’est jouable, je t’appelle demain pour te confirmer, faut que j’en parle à mon patron. Moi, c’est Charles, Charles Monluc, et toi ?
- Moi, c’est Roberte, mais tout le monde m’appelle Lola, Lola de Valence !
- T’es d’origine espagnole ?
- Non, c’est mon mec, c’est un salaud mais c’est un dingue de peinture, surtout de Manet, et y a un tableau qui s’appelle Lola de Valencia, y dit que je lui ressemble, alors y m’a appelé un jour comme ça et c’est resté !
- D’ac’, Lola, je t’appelle.
- Salut, l’artiste ! qu’elle m’a dit avec un sourire.
 
Pour mon article, j’avais besoin d’une rallonge de pognon, le lendemain, j’ai téléphoné à Belami pour lui faire part de ma nécessité de recherche !
 
- C’est Monluc, salut Belami !
- Bonjour Charles ! Alors ça avance ?
- Ça roule, au poil !
- Tant mieux, tant mieux.
- Dis donc, je te téléphone pour mon article, tu te souviens que je t’ai parlé de mon intention d’aller interroger des putes ?
- Oui, parfaitement. Tu veux interroger des prostituées.
- Bon, j’en ai trouvé une au poil, y a juste un petit détail, elle me demande de la payer pour le temps qu’on va passer ensemble.
- Quoi ? Qu’est-ce que tu dis ? Tu as trouvé une prostituée qui accepte de parler avec toi, mais elle te demande de la payer pour le temps que vous allez passer ensemble ? (Y m’énervait à répéter ce que je disais ! Mais j’en ai déduit que sa putain d’isalope-céphalo-frigide était dans le coin.) Il n’en est pas question, comment peux-tu imaginer que TéléPlus accepte de payer une prostituée, ça serait le monde à l’envers !
- Alors qu’est-ce que tu proposes ?
- Attends une seconde. (Je l’ai entendu qui parlait avec une autre personne, à tous les coups avec sa María Asunción de mes deux !). Écoute, Charles, tu ne vas certainement pas payer une prostituée, même dans le but, louable en soi, d’écrire un article sur C’est quoi l’amour ? dans la revue TéléPlus. (Allez, au fait, ma p’tite grenouille ! que je me disais) Par contre, je crois qu’il est possible que tu invites une de tes amies à déjeuner, et qu’ensuite, tu nous passes une note de frais. Ça te va comme ça, Charles ?
- Au poil !
- Alors, bon travail !
- Salut Belami.
 
Il était marrant Belami, quel con, mais quel con ! Je me doutais aussi que c’était sa céphalo-frigide qui avait donné le feu vert, parce que, côté bourse, le Belami, il était plutôt coincé (côté couilles aussi, d’ailleurs !), et pour lui soutirer deux misérables piécettes, fallait se lever tôt, et moi, vu comment j’aimais passer mes nuits, j’avais pas les aurores guillerettes, on avait donc quelques problèmes de synchronisation. Bon, merci, María de la Succión ! Une heure plus tard, le téléphone sonnait, c’était elle, María Asunción Belami.
 
- Charles, cher Charles, mon cher Charles, je vous téléphone juste pour dire, qu’à l’avenir, il ne faut pas que vous hésitiez à m’appeler directement. D’ailleurs, je ne sais pas ce qui se passe, mais dernièrement mon mari a quelques problèmes, disons, d’évaluation. Vous savez tout l’intérêt que je porte à notre revue (si je le savais !), vous en êtes un des plus précieux piliers et je tiens à ce que vous sachiez que vous avez toute ma confiance (putain, ça c’était envoyé ! et alors ?), Charles, cher Charles, mon cher Charles...
- Oui ?
- Avant toute chose, je tiens vraiment à vous remercier.
- Et de quoi, donc ?
- Voyons, Charles, mon amie Guillemette m’a parlé de vous en des termes on ne peut plus flatteurs, je tiens vraiment à vous remercier de ce que vous a avez fait pour une personne qui... enfin, pour une inconnue !
- Mais vos amis ne seront jamais des inconnus pour moi !
- Ah Charles, comme vous êtes aimable !
- Je vous assure que ce n’était rien. J’espère seulement que votre amie Guillemette se porte au mieux.
- Au mieux, Charles, c’est le mot juste. Je l’ai justement revue hier, elle était radieuse, radieuse !
- Je m’en réjouis.
- Écoutez, Charles, j’ai eu une idée que j’aimerais vous soumettre, il faudrait, pour en parler, que nous nous rencontrions. Je préférerais que cela se fasse, pour le moment, discrètement. Excusez mon audace, mais si cela ne vous dérangeait pas outre mesure que je passe chez vous, je crois que cela serait la solution idéale !
- Avec grand plaisir ! (Ouais, que je pensais, un autre tour de manivelle ? Qu’a cela ne tienne !) Si vous voulez et si ça vous convient, après demain, que dites-vous de trois heures ?
- Parfait, j’y serai, sans faute !
- Mes hommages.
- À bientôt, Charles.

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