C’est con, mais la scène avec
Hildegarde m’avait un peu remué. J’avais du mal à me remettre au boulot. Il
fallait impérativement que je me détende. Je me suis préparé un Cointreau
ananas, j’ai pris une cigarette et, allongé sur le canapé, j’ai commencé à
écouter Le Dialogue des Carmélites de
Poulenc, ça s’imposait ! Sœur Jeanne de la Divine Enfance, Sœur Blanche de
l’Agonie du Christ, Sœur Marie de l’Incarnation, Sœur Anne de la Croix... Nous sommes de pauvres filles rassemblées
pour prier Dieu. Méfions-nous de tout ce qui pourrait nous détourner de la
prière, méfions-nous même du martyre. La prière est un devoir, le martyre est
une récompense, puis le vœu du martyre pour mériter le maintien du Carmel
et le salut de la Patrie, troisième acte... Ben voyons, ça devait arriver, ce
putain de téléphone, et juste à la fin, et merde ! Merde et merde et
putain de merde !
- Tu mérites pas qu’on t’aime !
- Hrosvitha ? Qu’est-ce qui se
passe ?
- La maison donnait juste sur la mer.
- Hrosvitha !
- De toute façon, le perdant, c’est
toi.
- Ça va ?
- Je te trouve tellement
ridicule !
- Et pourquoi ?
- T’es pas James Dean, tu sais !
- Et alors ?
- Tu crois peut-être que tu es le seul
homme sur terre à pouvoir... Ridicule, tu es ridicule, et en plus, elle est
toute petite !
- Faut quand même pas exagérer !
- J’avais jamais vu les étoiles comme
ça...
- Hrosvitha, tu peux me dire ce qui se
passe ?
- Des capotes vertes et bleues !
- Je crois que je vais raccrocher,
Hrosvitha !
- Jamais personne ne t’aimera comme je
t’ai aimé, jamais !
- Tu vas pas recommencer !
- Et tes petites salopes...
- Isalopes, s’il te plaît, je te l’ai
déjà dit, mais qu’est-ce qu’elles viennent faire là-dedans ?
- Tu comprendras jamais rien ! Tu
leur donnes ce que tu n’as jamais voulu me donner. Et moi ? Hein !
J’ai pas le droit qu’on m’aime ?
- Bien sûr que si !
- Je pensais à toi, tes caleçons à
fleurs...
- Je porte pas de caleçons, tu
débloques ou quoi ?
- Tu finiras tout seul, seul comme un
vieux rat mort, tout rabougri, plus personne, hop, le vide, place libre, place
vacante, un nom sur une sonnette... Ah !Ah !Ah !
- Tu commences à m’emmerder, à la
fin ! T’es bourrée ou quoi ?
- Juste des petites crottes de
lapin !
- Et merde !
Cette fois-ci, c’est moi qui avais
raccroché. J’en avais marre et marre qu’elle m’emmerde comme ça,
Hrosvitha ! Demain, demain sans faute, je l’appelle, je lui dis qu’elle
est vraiment trop conne, vraiment trop chiante ! En définitive, elle me
fatiguait, elle était nuisible, elle voulait pas jouer le jeu. Le jeu ? Et
merde, encore un de ces coups de cafard qui revenait ! C’était très très
con, mais je me suis senti d’un coup comme un vieux, un vieillard qui contemple
la chiennerie du passage des jours, des années, de ce qui coule comme si on se
pissait dessus, et rien à faire, on continue à se pisser dessus. Ma vie ?
Je savais plus très bien si j’avais une vie, ni même ce que c’était que la vie.
J’avais seulement des moments de fierté lors desquels je me disais des mots
comme intensité et fugacité. Je pensais que, pour que tout
continue à fonctionner, fallait que les culs entrent et sortent de mon pieu,
c’était tout, et Hrosvitha s’était incrustée depuis déjà trop longtemps dans ma
vie, ma vie... Tout compte fait, je crois que j’aurais pu faire un petit peu
plus de place à Hrosvitha, mais jamais j’aurais réussi à l’aimer comme elle
aurait voulu que je le fasse. On aurait passé notre temps à s’engueuler, sûr. C’est
mieux comme ça, qu’elle sorte, qu’elle se largue, qu’elle se trouve un mec qui
la tringle, et qu’elle arrête de me faire chier.
La soirée avait été d’un chiant !
Un peu de Wagner, un peu de Merleau-Ponty, un peu beaucoup de Cointreau. Je me
sentais K.O., vide, creux, seul et nul. D’habitude, j’aimais être seul, j’avais
même besoin de solitude. Il m’arrivait d’avoir des journées tellement chargées
que ça me faisait du bien de rester comme un con pendant deux jours, tout seul,
j’écoutais de la musique, je lisais, je travaillais pour cette putain de revue,
je me posais pas trop de questions. Mais là, non, ça me faisait chier d’être
moi, d’être moi à ce moment-là, seul, comme un putain de vieux con. Dans ces
cas-là, ce que je faisais c’était d’aller me bourrer la gueule au Love and Peace, un bar pas trop loin de
chez moi, tenu par des frénétiques de la libéralisation des drogues douces.
Dedans, tout le monde fumait, fumait et planait, et moi je m’enfilais Cointreau
sur Cointreau en écoutant vaguement la rumeur de Joan Baez, Canned Heat,
Jefferson Airplane, Butterfield Blues Band, Mountain. Quand j’avais ma dose, y
avait toujours quelqu’un qui m’aidait à rentrer chez moi. Y me fallait au moins
deux jours pour émerger. Mais là, non, j’avais pas envie de foutre en l’air
deux jours, et puis, j’avais deux rendez-vous le lendemain, et puis, je préfère
généralement ne pas me débiner devant ce genre d’engagement à la con, et puis,
j’étais pas loin d’avoir ma dose. J’avais même pas envie de dormir, et
merde !
On a sonné à la porte. Je crois que
j’étais presque content. Ça aurait pu être Hrosvitha, on se serait engueulé,
mais j’aurais préféré ça à l’état plutôt couillon dans lequel j’étais. Je
pouvais pas en croire mes yeux : Héloïse ! Et merde, la vie, quand
même ! T’as pas l’air en grande forme ! qu’elle m’a dit. Ben non,
j’étais pas en grande forme ! Elle est entrée, s’est installée sur le
canapé.
- Tu te souviens ? qu’elle m’a
demandé.
- De quoi ?
- La première fois, avec Hildegarde.
- Ouais, tu parles si je me souviens !
- Tu m’as drôlement fait jouir ce
jour-là !
- Pas mal, ouais.
- Tu me sers un verre ?
- Bien sûr.
- Je t’ai pas téléphoné avant, j’avais
envie de te faire une surprise.
- T’as réussi.
- T’as l’air bizarre !
- T’as quel âge ? que je lui ai
dit, je savais pas trop pourquoi, mais à ce moment-là fallait que je sache son
âge et puis je sentais bien que le Cointreau me brouillait un peu la cervelle.
- C’est important ?
- Sais pas.
- Dix-neuf ans, deux mois, sept jours.
Pourquoi tu veux savoir ça ?
- Pour savoir si je vais voir ou pas
les flics rappliquer.
- Et toi ?
- Quarante-quatre.
- Tu pourrais être mon père !
- Ça me ferait drôlement chier d’avoir
une fille comme toi !
- C’est pas aimable, ça !
- Une fille, comme toi, t’es trop
belle !
- Trop belle ?
- Y a tellement de cinglés qui
traînent dans tous les coins !
- Et toi, t’es un cinglé ?
- Faut voir. Pourquoi t’es venue
ici ?
- J’en avais envie, fallait pas ?
Plus on parlait, plus je me sentais
con, stupidement con, con et con, un putain de con qui était en train de tout
foutre en l’air ! Pour une fois que j’avais une putain d’isalope sublime
devant moi, une putain d’isalope qui voulait se faire baiser et rien de plus,
fallait que je fasse le con avec mes questions à la con, j’étais décidément
plus con que con ! C’est vrai que c’était une putain de beauté sublime,
mais elle était presque trop pour moi, trop belle, trop parfaite, trop comme je
les aimais, trop... Putain, comme elle me plaisait !
- Charles !
- Ouais.
- T’as pas envie qu’on se voie ?
- Comment ?
- Tu veux plus que je vienne te
voir ?
- Tu déconnes ou quoi ?
- T’es sûr ?
- Sûr.
- Tu sais, moi, j’étais venue pour te
dire que j’aimerais qu’on se voie plus souvent.
- Ça marche.
- Vrai ?
- Ouais.
Elle m’a sauté au cou, m’a pris par la
main et m’a emmené vers le lit, elle m’a balancé dessus, elle est partie mettre
de la musique, Turandot, à fond, les
voisins ont commencé à donner des coups de balais dans le plafond, On s’en
fout ! Ouais, on s’en fout ! Elle s’est foutue à poil avec une putain
de lenteur, un strip-tease sur Puccini, la classe, quoi ! J’ai commencé à
bander. Putain ce cul ! Putain de jambes ! Putain de nichons !
Elle est montée sur le lit, elle était debout, au-dessus de mes yeux, elle a
défait les deux rosettes qui maintenaient sa petite culotte, putain cette
chatte ! J’ai juste eu un petit moment d’angoisse, je me suis demandé si
elle allait pas me pisser dessus ou un truc du genre, non, heureusement !
Elle montait et descendait son putain de cul, et, dans une de ses descentes vertigineuses,
elle a commencé à me toucher le visage avec son cul, avec sa chatte, je lui
donnais des petits coups de langue au passage. Elle a décidé de me sucer un
peu, après quelques coups d’aller-retour, elle a relevé sa bouche, c’est parti
directement dans ses cheveux. Et merde ! Putain de merde, quel con, quel
putain de con bourré !
- Ça t’a plu ? qu’elle me
demande.
- Un peu rapide, peut-être,
désolé !
- T’inquiète pas, lèche-moi
maintenant !
Je lui ai bouffé la chatte pendant dix
bonnes minutes. Elle causait, elle commentait : Oui, comme ça, plus haut,
plus bas, plus doucement, plus fort, plus vite, avec la langue, oui comme ça,
aspire-moi ! Elle a joui et est venue tout contre moi. Ses cheveux
sentaient le foutre. Elle m’a dit : Mets-moi un doigt dans le con, j’aime
dormir comme ça ! Je me suis endormi tout de suite, une masse flasque
complètement abrutie par le Cointreau et la chatte de cette putain d’isalope
sublime d’Héloïse, d’Héloïse...
Le lendemain matin, elle m’a
dit : Ce soir, je termine un peu plus tard, on fait l’inventaire, je passe
après ? Oui. Salut. Salut. Putain d’isalope sublime d’Héloïse ! Ça
c’était une femme ! Je me sentais beaucoup moins con que la veille, la
cervelle en compote, mais beaucoup moins con. Héloïse était là, j’avais
retrouvé une vie, que je me disais. Fallait que je téléphone à cette isalope de
Hrosvitha, ça allait être désagréable, je le savais, mais fallait que je lui
dise que... je savais pas trop ce que j’allais lui dire, d’ailleurs.
- Hrosvitha, c’est Charles.
- Bonjour.
- Je t’appelle pour...
- Te fatigue pas, va, je sais ce que
tu vas me dire, le plus facile est que tu ne dises rien, rien, absolument
rien !
- Écoute !
- Tu n’as pas à te justifier. À moi de
me débrouiller avec l’amour que j’ai pour toi !
- J’aurais voulu quand même...
- Non, adieu, sois heureux avec tes
salopes !
- Isa...
- Oui, je sais, isalopes. Adieu.
Ben merde alors, comme ça, aussi
facile que ça ! Y avait pas à dire, Hrosvitha avait de la classe ! Je
me sentais presque fringuant, sauf le mal de crâne qui cognait et cognait. J’ai
pris une douche froide, putain, comme elle était froide la flotte ! Je me
suis regardé dans la glace. J’avais une gueule usée, des poches sous les yeux
et puis aussi quelques kilos en trop, mais dans l’ensemble, ça tenait encore la
route. J’ai regardé ma queue : Me lâche pas maintenant ! que je lui
ai dit. Je me disais que ça serait pas trop mal si je dormais un peu plus et si
j’allais faire quelques séances de gymnastique. Mouais. Je pensais à Héloïse, à
cette putain d’isalope sublime d’Héloïse ! Héloïse...
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